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Un rêve venu du nord
Un rêve venu du nord
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19 mars 2009

Un article à côté

Un petit article hors sujet, mais il faut bien à un moment ou à un autre évoquer le mouvement de protestation sans précédent du monde des universitaires toutes tendances confondues en France (pour trouver un parallèle on doit remonter au XIIIe siècle, c’est dire !).

En effet ici rien à voir avec le CPE, ou quoi que ce soit. Les premiers dans la rue ne sont ni les syndicats, ni les étudiants. Ce sont les enseignants chercheurs. Tout de suite, certains vont se dire, voilà des nantis qui sont trop payés et qui refusent de faire des sacrifices. Et cela arrangerait beaucoup le gouvernement que l’on pense ainsi. Mais la réalité ce n’est pas ça.

Outre le fait que les chercheurs français touchent beaucoup moins que leurs collègues à l’étranger (1700 euros par mois contre plus de 3000 par mois aux Etats-Unis et après on s’étonne qu’il y en ait beaucoup qui partent à l’étranger), ils sont loin d’être des glandeurs. 6h de cours par semaine, ça fait rêver, mais à côté ils suivent le travail de doctorants, d’élèves en master, doivent participer à de nombreuses tâches administratives, et surtout passer le plus clair de leur temps à faire de la recherche, sans que jamais n’existe le mot d’heures supplémentaires ? Et que dire des déplacements (pour des colloques, des réunions obligatoires) jamais remboursés, des outils de travail (livres, ordinateurs) à leurs frais ? Etre chercheur c’est avoir une passion pas chercher le profit, car un ingénieur, à Bac+5 (contre bac+8) gagne 2500 euros par mois dès son premier travail en moyenne…

Bref la situation des chercheurs français n’est pas reluisante, mais le mouvement n’est pas là pour ça. Il est bien plus profond. Le gouvernement, Valérie Pécresse et Xavier Darcos, font des réformes qui suivent deux buts : 1/ Economiser de l’argent et 2/ Faire entrer la recherche dans le marché économique. Pour cela, ils proposent une série de réformes déjà adoptées, mais pas encore appliquées à cause des blocages et de la grogne : au premier chef, la réforme du statut des chercheurs, qui deviendraient de plus en plus financés par le privé, et seraient forcés de faire de la recherche appliquée, au lieu de faire de la recherche fondamentale (sans application directe en entreprise). C’est signer la mort des sciences humaines, des lettres, et des sciences naturelles. La recherche est et doit rester à jamais loin de la simple recherche de l’utilité. Je suis personnellement convaincu, étudiant en Histoire, que le simple fait d’acquérir de la connaissance est un profit pour l’humanité, et qu’aucune distinction entre recherche utile et inutile n’est valide. La recherche n’est pas une activité économique comme une autre. Plus que tout, elle est publique, et non privée, appartient à l’humanité et non à des entreprises.

Autre aspect de ce statut de chercheur modifié, plus de concurrence entre les facultés, entre les chercheurs. Evaluation au mérité à partir du nombre de publications. Et ceux qui publient moins seraient punis à être obligés d’enseigner plus. Stupide, étant donné que s’ils enseignent plus, ils ont moins de temps pour la recherche, et donc publient moins encore, et ainsi de suite dans un cercle vicieux. De plus la productivité à être jugé au nombre de citations et d'articles est là encore un schéma stupide pour la recherche. Les classements bibliométriques se multiplient pourtant, avec des coefficients mathématiques mettant en rapport ces deux données. Pour montrer la futilité d'un tel classement prenons par exemple de grands noms comme Deleuze ou Barthes qui ne publiant que des Livres (non comptabilisés) ou des articles dans des revues francophones (valant naturellement pour de tels classements moins que des revues anglophones) auraient eu un coefficient minable (voir encore à ce sujet l'excellent article http://contretemps.eu/interventions/petits-conseils-enseignants-chercheurs-qui-voudront-reussir-leur-evaluation). Une petite blague trouvée sur le net à ce sujet qui m'a parue bien marrante... :

Pourquoi Dieu ne sera jamais publiant (chercheur ayant publié assez d'articles) aux yeux de l'AERES (l'association qui va désormais juger de l'efficacité d'un chercheur en fonction de son nombre d'articles après la réforme) ?

  1. Il n'a qu'une seule publication intéressante.
  2. Elle était en hébreu.
  3. Sans aucune référence.
  4. Elle n'a jamais été publiée dans une revue de rang A, ni même soumise à un comité de lecture.
  5. On n'est pas certain qu'il en soit le véritable auteur.
  6. Il a peut-être créé le monde, au commencement, mais quel autre travail a-t-il fait depuis ?
  7. La communauté scientifique a énormément de mal à reproduire ses résultats.
  8. Il ne fait pratiquement jamais cours, se contentant d'encourager ses étudiants-disciples à lire son livre.
  9. Il a expulsé ses deux premiers étudiants, et justement parce qu'ils voulaient apprendre.
  10. Il est rarement à son bureau et n'assure aucune permanence régulière.
  11. Bien que reposant seulement sur l'observance de dix consignes, la plupart des étudiants échouent à ses épreuves.

La concurrence entre laboratoires induit aussi la création progressive de bonnes et de mauvaises universités, Poitiers par exemple n’a pas été retenu comme un des 10 pôles d’excellence en France, et pour un breton, le plus proche pôle d’excellence l’amène à Bordeaux ou à Paris, c’est dire l’utilité et la finesse d’une telle création. Evidemment, être financé par exemple par une marque de téléphones portables oriente de plus la recherche alors que pour l’efficacité de la recherche, l’histoire a toujours prouvé qu’elle devait être libre.

Dernier point de la réforme, la masterisation des concours, et la suppression de l’IUFM. Désormais pour avoir un poste dans le secondaire, il faudra Bac+5. De facto, c’était déjà le cas, (3 ans de Licence +1 an d’IUFM+un an de stage). Mais comme l’année de stage était rémunérée, la voilà supprimée, comme l’IUFM. Un étudiant voulant être professeur des écoles passera donc par un hybride Master de recherche/professionnalisation, et en Janvier passera des concours dévalués. S’il les rate, son master ne lui servira à rien, car il ne sera pas un vrai master de recherche, ni un vrai master de professionnalisation comme il en existe déjà. Sans parler de la qualité de la formation, l’IUFM malgré ses défauts et l ‘année de stage restant mieux adaptés qu’un hybride de recherche raté pour préparer à l’enseignement. Passons encore sur la désagrégation du CNRS, la recherche nationale, qui va être divisé en plusieurs petits instituts, soi disant pour le rendre plus compétitif, et au passage, en évincer les sciences humaines, les lettres, et les sciences naturelles, ce qui n’est pas productif en somme…

Les facultés sont en grève depuis 6 semaines. Les enseignants chercheurs pour les deux premières parts de la réforme, les étudiants plus volontiers pour la 3e, mais aussi pour ceux qui veulent faire de la recherche (comme c’est mon cas) pour leur avenir que compromet les premières dispositions. Et ici pas de grève syndicaliste ou de glandeurs. Lorsque je suis rentré à Poitiers en Février, j’ai vu que les professeurs, y compris les plus politiquement « à droite » sont contre cette loi. Ceux là même qui faisaient cours contre l’avis des assemblées d’étudiants, sont en première ligne à boycotter l’université réformée. A vrai dire, il n’y a presque personne qui soit pour. Même les présidents d’universités, que le gouvernement a tenté d’acheter en augmentant leu salaire, et qui au début y semblaient favorables, désormais ont rejoint le mouvement. De même il n’y a pas que les facultés qui soient bloquées. L’école pratique des hautes études a rejoint le mouvement, de même que Normal sup, et les Science po.

Mais face à cette unité sans précédent, le gouvernement reste sourd, car il ne peut faire marche arrière sans perdre sa crédibilité. Les médias ne parlent que peu du mouvement car les enseignants et élèves du secondaire et du primaire ne bougent pas, étrangement, alors que cela touchera à long terme la qualité de leur formation. Les lycéens se mobilisent facilement pour tant de choses inutiles, chaque année, il faut croire qu’ils ne comprennent vraiment pas ce qui est en jeu dans cette réforme. Et le blocage des universités ne faiblit pas depuis 6 semaines. Au contraire, car les chercheurs y sont liés, il ne fait que prendre de l’ampleur. On parle désormais de ne délivrer aucun diplôme en fin d’année si le mouvement continue, et comme les enseignants-chercheurs sont indispensables pour cela, ils peuvent très bien le faire. Rien à voir avec le CPE, comme je le disais. C’est une épreuve de force qui a commencé, et nul ne sait comment elle finira. Valérie Pécresse écoute sans entendre (alors même que le 1er ministre François Fillon parlait de réécrire totalement la loi, elle le refuse) tandis que Xavier Darcos, dans son amour pour la recherche qui n’a d’égale que sa vision politique habituellement limitée à celle d’une taupe atteinte de cataracte, se tait le plus souvent et ne sort de son mutisme que pour dire des idioties : « Sa seule sortie a été fin janvier sur RMC où, en gros, il se disait seul responsable du recrutement des enseignants, que les nouveaux concours auraient lieu de toute façon, que les candidats il les trouverait et que, si les universités et IUFM ne proposaient pas de formation (les fameuses maquettes) ce n’était pas son problème » (source http://elrond.over-blog.com/article-28946868.html). On va même jusqu’à entendre des mensonges éhontés de la part de Claude Guéant, porte Parole de l’Elysée. (Voir à ce sujet http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2009/03/le-mensonge-de.html). Nos ministres refusent de voir la protestation, car celle-ci dépassant syndicats et partis politiques, n’a pas un grand représentant unifié. Mais même Nicolas Sarkozy, sentant le vent tourner, aurait dit (selon le canard enchaîné), que cette réforme était mauvaise.

Le malaise est profond dans l’université française. Il faut la réformer. Quelques chiffres à l’appui. Il y avait en 2007 70 000 Doctorants en France. Selon les prévisions mêmes du ministère de l’enseignement supérieur, ils seront 30% de moins d’ici 2017 (http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid23295/previsions-des-effectifs-dans-l-enseignement-superieur-pour-les-rentrees-de-2008-a-2017.html). Recul sans précédent, quand on sait que le nombre de doctorants indique la vitalité scientifique d’un pays. La recherche Française se meurt. Les seuls étrangers qui viennent dans nos universités sont les africains, par facilité de langue le plus souvent et à cause d’une influence post-colonialiste encore présente, et les italiens (en Italie non plus le gouvernement Berlusconi, qui décidément a beaucoup de points communs avec celui de Sarkozy, n’a pas favorisé la recherche loin de là.) De plus en plus les asiatiques s’en vont voir ailleurs, comme les autres européens. Les français même partent de plus en plus aux USA ou en Angleterre, en Scandinavie (j’y suis et je peux témoigner que là bas, l’université et la recherche ont un tout autre soutien de l’Etat). Parmi cette baisse des doctorants, les premières disciplines touchées sont les sciences humaines et les lettres, qui verront un -47%, de 25000 en 2007 à 13000 en 2017. Abyssal. Suivent les sciences dures, qui passeront de 30000 à 20000, les sciences économiques de 4900 à 2700. Seuls seraient épargnés deux secteurs. Le droit, qui passerait de 8800 à 9700, et les classes préparatoires qui elles aussi augmenteraient leurs chiffres.

Voilà bien qui montre la chute terrible du système universitaire français. Les universités ne sont pas vues comme des endroits d’avenir. Ceux qui y vont sont considérés comme dans glandeurs, sans débouché direct. Bien autre chose que nos fières grandes écoles et classes préparatoires auxquelles elles sont mises en concurrence, et qui pourtant n’existent qu’en France. A l’étranger, avoir un doctorat, c’est le plus grand atout que l’on puisse avoir. En France, celui-ci se dévalue. On oriente (des professeurs qui ne connaissent rien aux grandes écoles naturellement) les bons élèves massivement vers les écoles préparatoires, qui à la base ne devaient servir que de tremplin pour les grandes écoles qui sont désormais un Lycée++. Là bas, ils connaîtront souvent l’échec, et n’y seront pas mieux orientés qu’avant, devant après 2 ans faire le choix qu’ils n’ont pas fait en Terminale quand à leur carrière. Les mauvais éléments et les moyens vont en Faculté, c’est le chemin qui leur est tout tracé. Mon expérience personnelle là encore rejoint les faits : les professeurs ont orienté tous les « bons élément » de la classe de terminale là bas parce que « ce serait dommage que tu ne fasses QUE la fac » (quelle ironie sachant que l’université est normalement la meilleure formation existante lorsqu’on la termine on a un bac+8 qu’aucune grande école ne peut donner Bac+5 maximum à Normal Sup), mais au final presque tous ont fini par abandonner les classes préparatoires et se réorienter. Brillante promotion que celle des classes préparatoires appelées à avoir toujours plus d’élèves et que les facs qui se videront (-15% d’élèves en 2017 par rapport à 2007, là encore un phénomène historique). Auparavant, faire la classe préparatoire, puis les grandes écoles (qui étaient le débouché naturel) étaient signe d’excellence, d’un parcours original, désormais c’est aux yeux des gens (heureusement la réalité n’est pas encore le cas, et de bons élèves choisissent l’université par choix car mieux adaptée que la prépa à leur avenir, mais pour combien de temps) un parcours minimum exigé que la prépa pour les bons élèves, tandis que la faculté est vue comme un dépotoir. Pourquoi ? Je cite un article d’un forum qui m’a paru convaincant (http://www.forum.spectrosciences.com/ptopic850.html&sid=5da1dd8cb272f45c00b0f14875bb0243)

« Je pense qu'un bachelier qui sort du lycée n'a qu'une idée très floue de ce que sont les diplômes universitaires, et ce qu'ils permettent de faire. Je suis sûr qu'il serait très instructif de faire une enquête en demandant aux lycéens : quels métiers peut-on faire avec une Licence, un Master, un Doctorat ?


Les diplômes proposés par d'autres formations sont beaucoup plus visibles, et mènent à des métiers clairs. Comme tu le dis Guillaume, il y a les écoles d'ingénieurs, qui débouchent directement vers le métier d'ingénieur ; le parcours proposé est simple, clair, précis. J'ai participé à une action dans un lycée, où nous avions fait un petit sondage : 70 à 80% des élèves (1ère et Terminale Scientifiques) voulaient faire Médecine ; là aussi le parcours est clair, il mène aux métiers de médecin, infirmier... Les jeunes préfèrent aussi les IUT, qui proposent des formations menant directement à des métiers bien ciblés.


Et l'Université dans tout ça ? Elle ne sait pas se mettre en avant, ses diplômes restent flous pour beaucoup de gens. Beaucoup de parents considèrent qu'elle n'apporte pas de "vraie" formation, ne mène pas à de "vrais métiers", et l'Université traîne toujours une mauvaise réputation : quand on va à la "fac", c'est parce qu'on ne sait pas quoi faire, ou parce qu'on a envie de glander... »

Les glandeurs, en Fac, il y en a, en première année (seuil qu'ils ne dépassent jamais étant en général absents lors des cours), et bien qu'officiellement il n'y ait pas de sélection, les 25% seulement de réussite en 1ere année d'Histoire (10% seulement pour la philo et l'histoire de l'art, je parle des chiffres de ma première année de Fac à Poitiers, d'autres facs sont peut être plus sélectives encore) montrent bien qu'il existe en fac la même sélection qu'ailleurs, seulement celle-ci n'est pas officielle, simplement faite en 1ere année de manière naturelle au lieu d'être faite au baccalauréat comme pour les grandes écoles. Les prépas qui nous rejoignent en 3e année de licence ne sont d'ailleurs pas d'un niveau vraiment supérieur aux élèves restants. 

Partout ailleurs dans le monde, l’université, pas mise en concurrence par ce stupide système de grandes écoles, est la seule formation supérieure. Devant l’échec de ce système Français (qu’on repense à la baisse des doctorats), il faudrait rénover tout cela. Mais la loi Pécresse ne veut pas rénover. Elle veut simplement faire des économies, et avoir moins de taux d’échec en faculté (à la fin on aura une licence à 80% de réussite, comme la baccalauréat qui ne vaut plus rien). Elle préfère investir dans du soutien scolaire que de mettre plus de moyens dans la recherche (300 millions suffiraient pour créer 5000 postes de chercheurs qui offriraient par ailleurs plus de débouchés, ce qui manque aux doctorants d’aujourd’hui, mais on ne peut pas les dépenser, comprenez vous parce que c’est cher comparé aux milliards qui sauvent les banques). A côté, Obama double le budget de la recherche des USA en 5 ans. Qu’on aille pas donner de leçons aux américains, ce coup là. Eux ils ont compris que l’avenir d’un pays c’est le plus important, pas sa productivité immédiate.

Moi qui n’ai pas soutenu le mouvement contre le CPE, qui n’ai jamais fait la grève, je la ferais bien si j’étais en France, cette grève. Ici en France avec un doctorat en sciences humaines, je n’ai que peu de débouchés. On n’aime que les ingénieurs et les formations directement professionnalisantes. Aux USA, en Angleterre, au Canada, en Scandinavie, un docteur en sciences humaines est 2 fois mieux payé, et surtout, il trouve facilement du travail, parce qu’on a compris qu’il n’y a pas que la recherche immédiatement applicable qui forme les esprits, et qu’une réflexion sur le monde, sur les hommes, sur l’histoire, est aussi formatrice que la création d’un nouveau gadget de téléphone portableou qu’avoir appris par cœur le code pénal.

Vu d’ici en Suède, nos universités font rire. Donnons leur les moyens d’exister, et de bien former au lieu de couper le budget de la recherche et de choisir sur 83 universités seulement 10 qui seraient compétitives, ou bien de favoriser le système Prépa-Grandes écoles qui n’a jamais été conçu que pour un petit nombre, et qui s’il doit être maintenu, doit le rester. Les Suédois, les américains, les anglais, rient quand je leur parle des prépas. Leurs universités, qui ont de l’argent et dans lesquelles on n’est pas vu comme « des glandeurs » suffisent. Et ils ont bien raison.

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Commentaires
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  • Parce que je n'ai pas la force d'attendre plus longtemps, voici un voyage qui commence quelques mois avant le départ. Je mettrai ici des notes, des impressions, des photographies, des nouvelles, et bien d'autres choses encore. Uppsala me voici pour un an!
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